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Contrats administratifs et de la commande publique : les arrêts du Conseil d’État du mois de décembre 2020

Public - Droit public des affaires
06/01/2021
Le Conseil d’État a rendu, au mois de décembre 2020, huit décisions en matière de contrats administratifs et contrats de la commande publique. En voici les considérants de principe.
Accords-cadres – Interdiction pour un même soumissionnaire de présenter plusieurs offres pour un même lot – Absence d'autonomie commerciale de deux soumissionnaires distincts
« Si deux personnes morales différentes constituent en principe des opérateurs économiques distincts, elles doivent néanmoins être regardées comme un seul et même soumissionnaire lorsque le pouvoir adjudicateur constate leur absence d'autonomie commerciale, résultant notamment des liens étroits entre leurs actionnaires ou leurs dirigeants, qui peut se manifester par l'absence totale ou partielle de moyens distincts ou la similarité de leurs offres pour un même lot » (rappr., s'agissant d'un règlement de consultation interdisant aux opérateurs de soumissionner à plus de cinq lots, CE, 11 juill. 2018, nos 418021 et 418022).
CE, 8 déc. 2020, n° 436532
Lire les conclusions du rapporteur public Marc Pichon de Vendeuil sur cette affaire.
 
Point de départ du délai d'établissement du décompte final – Réception avec réserves et réception sous réserves
« Lorsque le pouvoir adjudicateur entend prononcer la réception en faisant application des dispositions de l'article 41.6 du CCAG Travaux relatives à la réception avec réserve des travaux, la date de notification de la décision de réception des travaux, et non la date de levée des réserves comme pour la réception sous réserves prévues par l'article 41-5 de ce CCAG, constitue le point de départ des délais [d'établissement du décompte final], quelle que soit l'importance des réserves émises par le pouvoir adjudicateur » (rappr., s'agissant de l'obligation pour le maître d'ouvrage, en cas de réception avec réserves, de faire état dans le décompte général des sommes nécessaires à la levée de réserves, CE, 20 mars 2013, n° 357636).
CE, 8 déc. 2020, n° 437983
 
Référés contractuel et précontractuel – Conditions de recevabilité
Résumé à publier au Recueil :
« La circonstance qu'un opérateur économique évincé ait déjà exercé deux référés précontractuels au cours desquels il aurait pu soulever le manquement dont il se prévalait, ne fait pas obstacle à ce qu'il forme un nouveau référé précontractuel tant que le délai de suspension de la signature du contrat n'est pas expiré ».
« Il résulte des articles L. 551-4, L. 551-13 et L. 551-14 du code de justice administrative (CJA) ainsi que de l'article 29 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 alors applicable que, s'agissant des contrats de concession mentionnés à l'article 26 de ce décret, sont seuls recevables à saisir le juge d'un référé contractuel, outre le préfet, les candidats privés de la possibilité de présenter utilement un recours précontractuel, lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice n'a pas communiqué la décision d'attribution aux candidats non retenus ou n'a pas observé, avant de signer le contrat, le délai fixé par l'article 29, ainsi que ceux qui ont engagé un référé précontractuel lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice n'a pas respecté l'obligation de suspendre la signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 du CJA ou ne s'est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé » (cf. CE, 19 janv. 2011, n° 343435).
« La seule circonstance qu'un opérateur économique évincé a exercé plusieurs référés précontractuels ne saurait conduire le juge du référé contractuel à estimer que cet opérateur n'aurait pas été privé de la possibilité de présenter utilement un référé précontractuel » (rappr., s'agissant du juge des référés statuant en urgence sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA, CE, 29 juin 2020, n° 435502).
« Le pouvoir adjudicateur ayant été informé du sens de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif par son avocat, auquel cette ordonnance avait été notifiée, avant de signer le contrat litigieux, doit être regardé comme en ayant reçu notification au sens et pour l'application de l'article L. 551-4 du CJA. Par suite, la signature de ce contrat n'est pas intervenue en méconnaissance de l'obligation de suspension fixée par ce même article » (rappr., s'agissant des conditions d'information du pouvoir adjudicateur sur l'existence d'un recours devant le juge du référé précontractuel, CE, 1er mars 2012, n° 355560).
CE, 8 déc. 2020, n° 440704
Lire les conclusions du rapporteur public Marc Pichon de Vendeuil sur cette affaire.
 
Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage – Devoir de conseil du maître d’œuvre
« La responsabilité des maîtres d'œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves » (cf. CE, 15 déc. 1965, n° 64753 ; CE, 28 janv. 2011, nos 330693, 330835 et 332826).
« Ce devoir de conseil implique que le maître d'œuvre signale au maître d'ouvrage l'entrée en vigueur, au cours de l'exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à l'ouvrage, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l'ouvrage ».
Un maître d'œuvre s'étant abstenu de signaler au maître de l'ouvrage le contenu de nouvelles normes acoustiques et leur nécessaire impact sur le projet, et de l'alerter de la non-conformité d'une salle polyvalente à ces normes lors des opérations de réception alors qu'il en avait eu connaissance en cours de chantier, engage sa responsabilité pour défaut de conseil.
CE, 10 déc. 2020, n° 432783
 
Résiliation d’un contrat administratif – Résiliation tacite par la personne publique
Résumé à publier au Recueil :
« En l’absence de décision formelle de résiliation du contrat prise par la personne publique, un contrat doit être regardé comme tacitement résilié lorsque, par son comportement, la personne publique doit être regardée comme ayant mis fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles » (cf. CE, 27 févr. 2019, n° 414114).
CE, 11 déc. 2020, n° 427616
Lire les conclusions du rapporteur public Sophie Roussel sur cette affaire.

Avocat du titulaire du marché s'adressant au maître d'ouvrage – Dispense de justification devant l'Administration du mandat en vertu duquel il représente son client – Inclusion de la Banque de France dans la notion d’Administration publique
« Il résulte [des articles 4 et 6 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et de l'article 8 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005] que, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires excluant l'application d'un tel principe dans les cas particuliers qu'elles déterminent, les avocats ont qualité pour représenter leurs clients devant les administrations publiques sans avoir à justifier du mandat qu'ils sont réputés avoir reçu de ces derniers dès lors qu'ils déclarent agir pour leur compte » (cf. CE, 5 juin 2002, n° 227373).
« Le respect de ce principe s'impose notamment à la Banque de France qui doit être considérée comme une administration publique au sens et pour l'application des dispositions de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971 » (rappr., sur la qualification de la Banque de France de personne morale de droit public, T. confl., 16 juin 1997, n° 03054).
« Si ces dispositions ne dispensent pas le titulaire du marché de désigner, en application [du cahier des clauses administratives générales (CCAG) et du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) applicables], une personne physique pour le représenter au cours de l'exécution du marché, l'avocat du titulaire du marché doit toujours être regardé, lorsqu'il s'adresse au maître d'ouvrage au nom de celui-ci, comme le représentant valablement, sans qu'il ait à justifier du mandat qu'il a reçu pour ce faire ».
CE, 18 déc. 2020, n° 427850
Lire les conclusions du rapporteur public Mireille Le Corre sur cette affaire.
 
Possibilité de régularisation d’une offre irrégulière – Candidat dépourvu de toute chance de remporter le contrat
« Lorsque l'offre d'un candidat évincé était irrégulière et alors même que l'offre de l'attributaire l'était aussi, la circonstance que le pouvoir adjudicateur aurait été susceptible de faire usage, dans les conditions désormais prévues par l'article R. 2152-2 du code de la commande publique, de la faculté de l'autoriser à régulariser son offre n'est pas de nature, par elle-même, à ce qu'il soit regardé comme n'ayant pas été dépourvu de toute chance de remporter le contrat » (cf. CE, 8 oct. 2014, nos 370990 et 374632).
CE, 18 déc. 2020, n° 429768
Lire les conclusions du rapporteur public Mireille Le Corre sur cette affaire.
 
1. Absence d'exécution du contrat malgré une mise en demeure – Possibilité de recourir à des marchés de substitution aux frais et risques de son cocontractant – Cas d’un marché de substitution n'ayant pas permis de réaliser avec succès les prestations attendues
2. Faute d'une gravité suffisante – Résiliation du contrat aux torts exclusifs du titulaire du contrat, quelles que soient ses clauses et même en cas de pénalités de retard prononcées durant l’exécution du contrat
1. « Il résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs que l'acheteur public de fournitures qui a vainement mis en demeure son cocontractant d'exécuter les prestations qu'il s'est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, dispose de la faculté de faire exécuter celles-ci, aux frais et risques de son cocontractant, par une entreprise tierce. La conclusion de marchés de substitution, destinée à surmonter l'inertie, les manquements ou la mauvaise foi du cocontractant lorsqu'ils entravent l'exécution d'un marché de fournitures, est possible même en l'absence de toute stipulation du contrat le prévoyant expressément, en raison de l'intérêt général qui s'attache à l'exécution des prestations. La mise en œuvre de cette mesure coercitive, qui peut porter sur une partie seulement des prestations objet du contrat et qui n'a pas pour effet de rompre le lien contractuel entre le pouvoir adjudicateur et son cocontractant, ne saurait être subordonnée à une résiliation préalable du contrat par l'acheteur public. La règle selon laquelle, même dans le silence du contrat, l'acheteur public peut recourir à des marchés de substitution aux frais et risques de son cocontractant revêt le caractère d'une règle d'ordre public » (consid. 4 ; rappr., s'agissant d'une mise en régie aux frais et risques du cocontractant défaillant, CE, ass., 9 nov. 2016, n° 388806 ; lire Compétence du Conseil d’État en matière d’arbitrage international impliquant le droit de la commande publique, Actualités du droit, 16 nov. 2016).
« S'il est loisible au titulaire du marché de contester la conclusion, par le pouvoir adjudicateur, de marchés de substitution et s'il doit être mis à même de suivre les opérations exécutées par le titulaire de ces marchés, afin de pouvoir veiller à la sauvegarde de ses intérêts, la circonstance que ces marchés n'auraient pas permis de réaliser avec succès les prestations attendues ne saurait, en elle-même, le dispenser d'en supporter la charge » (consid. 8 ; cf. CE, 9 juin 2017, n° 399382 ; rappr., s'agissant de la possibilité pour le cocontractant défaillant de vérifier que le marché de substitution a un objet équivalent à celui de l'ancien ou doit permettre de parvenir au même résultat, CE, sect., 28 janv. 1977, n° 99449).
2. « Par ailleurs, même si le marché ne contient aucune clause à cet effet et, s'il contient de telles clauses, quelles que soient les hypothèses dans lesquelles elle prévoient qu'une résiliation aux torts exclusifs du titulaire est possible, il est toujours possible, pour le pouvoir adjudicateur, de prononcer une telle résiliation lorsque le titulaire du marché a commis une faute d'une gravité suffisante » (consid. 5 ; cf. CE, 26 févr. 2014, nos 365546 et 365551).
« La circonstance que, pendant la période où le marché est exécuté, des retards ont fait l'objet de pénalités ne fait pas obstacle à ce que le pouvoir adjudicateur prononce en définitive la résiliation du marché aux torts exclusifs de son titulaire, les pénalités ne pouvant alors porter sur la période postérieure à la date de la résiliation » (consid. 7 ; cf., sur l'impossibilité pour les pénalités de retard de porter sur la période postérieure à la résiliation du contrat, CE, 21 mars 1986, n° 46973).
CE, 18 déc. 2020, n° 433386
Lire les conclusions du rapporteur public Guillaume Odinet sur cette affaire.
 
Pour aller plus loin
Pour des développements détaillés sur les contrats administratifs et les contrats de la commande publique, voir Le Lamy Droit public des affaires 2020, nos 1014 et suivants.
Source : Actualités du droit